ensemble 0

Mené par Sylvain Chauveau et Stéphane Garin, l’ensemble 0, groupe à géométrie variable, unit dans le même élan depuis 2004 des musiques contemporaines : si la musique minimaliste des Américains constitue son visage le plus connu, l’ensemble 0 interprète également ses propres compositions à travers deux trios et performe au sein de la scène électronique ou de la pop indé. Leurs collaborations sont désormais multiples et s’étendent sur un vaste panel qui leur permet de servir avec ingéniosité leur amour du son et de la scène. Plusieurs disques sont parus dont Elpmas, une nouvelle version de l’œuvre mythique du compositeur des rues new-yorkaises Moondog. « Ensemble zéro carbone », le groupe s’inscrit dans une démarche écologique avec Jojoni, programmé l’an dernier. Stéphane Garin a collaboré avec Claire Diterzi pour le Concert à table, proposé également sur la saison 21/22. L'ensemble 0 présentera cette saison le concert Give it to the Sky autour de l'œuvre de l'artiste américain Arthur Russel.

Entretien avec Stéphane Garin / ensemble 0

réalisé par Marc Blanchet en juin 2023

Comment avez-vous découvert la musique d’Arthur Russell ? Il y a quelque chose d’insaisissable dans ses compositions qui ont influencé toutes sortes d’artistes…

Je l’ai découvert par deux biais. D’abord par la violoncelliste de l’ensemble Dedalus. Elle m’avait parlé d’un groupe, Dinosaure L, qui interprète la musique disco pour violoncelle composée par Arthur Russell ! J’avoue avoir écouté sans aller plus loin… Une singularité m’était toutefois apparue dans le sens où ce mélange n’est pas courant entre cet instrument, joué ici de manière plutôt « centrale », et ce courant musical. Ma vraie découverte s’est faite au moment d’une des créations de Russell en France, en 2017, au Lieu unique à Nantes. Un artiste m’a écrit à la suite de ce concert pour savoir si je connaissais son œuvre Towers of Meaning. La découvrir fut une claque. Sincèrement, ça ne ressemblait à rien de ce que j’avais pu entendre auparavant, au niveau de l’harmonie, de la lenteur, du côté « grégorien » de sa musique. Même si ses créations sont en résonance avec toutes sortes d’autres musiques, elles sont profondément uniques. Arthur Russell ne fixe pas musicalement les choses. En ce sens, il est proche de l’ensemble 0 ou de ma trajectoire musicale, qui est naturelle et s’est faite à la croisée de la mélodie et d’Ennio Morricone par la découverte de la bande originale du film Giu la testa (Il était une fois la révolution, nda) grâce à mon père, quand j’avais onze ans. Je me souviens aussi du LP de La Cage aux folles 1 et 2 quand j’étais petit. J’étais dingue du générique avec les trompettes ! Ensuite, vers quinze ans, j’ai découvert Edgar Varèse et John Cage. Je suis un mixte de tout cela – de la mélodie et de l’expérimentation. Après, ce fut la techno, découverte à plein volume, puis des études à Paris. Sans me fixer un seul instant de trajectoire, j’ai butiné là où mes désirs me poussaient jusqu’à la création de l’ensemble 0. Croiser l’œuvre d’Arthur Russell me fait dire que les choses ne se font pas par hasard. Arthur Russell lui aussi a étudié la musique, avec La Monte Young en Californie. Il est devenu ensuite programmateur au Kitchen à New York. Il a travaillé dans la musique folk indépendante : il a une dimension de songwriter, qui passe par l’écriture de chansons à textes. Il a également fait des vidéos, des performances assez longues au violoncelle avec chant. Il fait toujours les choses à sa manière, en gardant ce côté auteur de chansons. Towers of Meaning est autre chose qui symbolise une sorte de totem d’échec dans sa carrière pour un artiste dont il reste beaucoup d’œuvres à découvrir.

Votre spectacle, Give it to the Sky, part d’une commande inaboutie, Towers of Meaning. Comment êtes-vous passé de cette œuvre à la création avortée du vivant de l’artiste, à ce spectacle enrichi d’autres compositions ?

L’histoire de cette œuvre témoigne de la mauvaise relation qu’a eue Arthur Russell avec le metteur en scène Bob Wilson. Ce dernier le contacte pour mettre en sons une pièce de théâtre musical, plutôt expérimentale. Il y a des sessions de travail entre le metteur en scène, ses acteurs et Russell. Très vite, Wilson reproche à Russell sa lenteur ! Je crois plutôt que ce type de forme musicale n’était pas claire dans la tête du metteur en scène américain. Robert Wilson éjecte la musique de Russell qui était en train de devenir un opéra et embauche Gavin Bryars, compositeur qui poussera définitivement Wilson vers l’opéra. Or, ce même compositeur m’a donné les bandes de Towers of Meaning, du moins sa version de 1984 qui fut ensuite créée à Lyon. Cette musique révèle combien cette mauvaise collaboration relevait d’une question de personnalité, d’un rythme de travail erroné. Même si Russell composait de manière chaotique, il n’en était pas moins précieux et créatif. Nous portons donc Towers of Meaning au plateau dans une approche enrichie. Sous le nom de Give it to the Sky, la nouvelle création de l’ensemble 0 représente vraiment un pas de plus ! Pour la première fois, nous travaillons avec un élément sur lequel nous n’avions jamais réfléchi : la lumière ! La lumière en tant qu’acteur d’une scénographie. Nous avons demandé à deux collaborateurs depuis vingt-cinq ans, le chorégraphe et plasticien Christian Rizzo et l’artiste lumière Caty Olive, de nous rejoindre. Christian Rizzo s’inscrit dans ce projet du côté de la dramaturgie. La musique est au centre de son activité. Et puis, c’est un dingue d’Arthur Russell ! Nous sommes heureux de cette collaboration qui nous fait comprendre une chose essentielle : un spectateur écoute un musicien autant qu’il le regarde ! Cette version de Towers of Meaning augmentée est une vraie aventure. Elle raconte aussi, sans prétention, qu’aujourd’hui, un compositeur comme Arthur Russell a des interprètes qu’il n’aurait pas pu avoir autrefois. Pour cette musique minimaliste, en dehors de Philip Glass, Steve Reich et quelques autres, beaucoup de compositeurs n’ont pas été bien servis. D’ailleurs, Arthur Russell travaillait souvent seul chez lui en ralentissant des bandes, des timbres, parce qu’il n’avait pas d’orchestre sous la main ! Il enregistrait instrument par instrument le dimanche matin. Nous avons demandé à Peter Broderick de rejoindre notre projet. Avec Sylvain Chauveau, cocréateur de l’ensemble 0, nous le connaissons depuis quinze ans. Il a une voix proche de celle d’Arthur Russell. C’est un univers qu’il a déjà exploré, suffisamment pour se faire repérer par les ayant-droits de Russell qui lui ont donné accès aux archives… Il les gère aujourd’hui comme codirecteur artistique pour les disques du label de Russell. L’exceptionnel label Eraser tapes sortira le disque de Give it to the Sky qui comprend trois chansons inédites.

Votre spectacle Give it to the Sky est à la croisée des arts et de nombreuses collaborations. Ne relève-t-il pas du désir de créer une communauté artistique ?

Qui se ressemble s’assemble ! J’aime bien dire que nous travaillons avec des musiciens avec lesquels nous aimerions partir en vacances ! C’est un élément décisif. Pour Give it to the Sky, nous sommes ainsi tenus à une forme de parité, bien qu’à l’arrivée il y a plus de femmes que d’hommes, ce qui ne fut jamais le cas les quinze années précédentes ! Les rencontres amènent des rencontres : avec le temps, nous avons rencontré Fanny Metier au tuba, Gulrim Choï au violoncelle ou Tomoko Taksura au violon. Nous formons en effet une vraie communauté.

L’ensemble 0 et ses productions témoignent d’un engagement éthique. Où en êtes-vous de ces différents cahiers des charges ?

Nous avons essayé de porter des projets légers mais avec ce spectacle, il y a des musiciens éloignés géographiquement… Difficile pour certains d’éviter l’avion. Le train reste toutefois le moyen de transport privilégié. De même, nous imposons un régime végétarien sur les périodes de production. C’est un rien dictatorial ! Nous réduisons au maximum les trajets et mutualisons les forces. Nous travaillons dans un « esprit rustine ». Nous avons réalisé cette année une Nuit couchée avec de passionnantes discussions sur la violence au travail, qui est celle du capitalisme en action. Nous travaillons sur le projet Radio Glace qui porte sur la détérioration du vivant et le projet Interférence qui réunit le Conservatoire, l’École d’Art et l’ensemble 0. Nous allons inviter chaque année quelqu’un à la croisée du plastique et du sonore pour réfléchir avec les étudiants sur de nouvelles manière de vivre nos arts en pensant à demain.