cie l'Homme debout

Si Benoît Mousserion veut bien revendiquer le titre de directeur artistique à la tête de la cie l’Homme debout, c’est juste pour témoigner d’une activité qui n’a de sens que dans le collectif. L’histoire de cette compagnie des arts de la rue est en effet une signature à plusieurs de spectacles à la fois merveilleux et à même de sensibiliser à des problématiques contemporaines par la confection, l’animation et la monstration de marionnettes géantes porteuses d’histoires fédératrices. Aussi, la compagnie l’Homme debout est avant tout une « belle équipe », et peut-être équipée. L’artisanat y rejoint l’art dans un savant tressage, et cela tombe bien : nombre de ses réalisations monumentales sont en osier. Après Mo et le ruban rouge, inoubliable succès à Bayonne sur la saison 21/22, La cabane à Plume(s) continue d’être un projet participatif où se brouillent les frontières entre réalité et imaginaire pour les habitants d’une ville. 

Entretien avec Benoît Mousserion / cie l'Homme debout

réalisé par Marc Blanchet en juin 2023

La cabane à Plume(s) invite les spectateurs à aider une petite géante dont les amis oiseaux ont disparu alors que sa cabane est menacée de destruction. Votre spectacle commence dans l’urgence…  

Dès que la cabane de Plume est installée, quelques jours avant le début du spectacle, un compte à rebours est enclenché juste à côté. Il annonce une destruction prochaine… J’aime poser dans l’espace public cette notion d’urgence. Les gens voient le temps qui s’égrène au jour le jour. Nous l’utilisons pour parler du monde dans lequel nous vivons tous. Le sujet de notre spectacle n’est pas en soi original : cette cabane symbolise la planète que nous partageons. Bien sûr, nous pouvons la regarder comme étant juste celle d’une enfant ! Elle est ici à Bayonne ; elle pourrait être dans une ZAD quelque part en France, sur un rond-point de gilets jaunes, en Ukraine ou dans une forêt de Papouasie. Tous ces endroits sur terre où, chaque jour, d’une manière ou d’une autre, des cabanes sont détruites. Il s’agit d’une urgence écologique comme sociale. Il existe – ce sont aussi des cabanes – cent cinquante bidonvilles en France. Lorsqu’un est détruit, un autre est reconstruit plus loin. Quelles solutions ? Difficile de répondre. Mais dans cette histoire, il y a toujours des êtres humains. Qu’il s’agisse de cabanes dans des bidonvilles ou des centres d’hébergement de migrants, ou de notre grande cabane à nous, la planète.  

La cabane est la construction fragile par excellence. Elle est à l’image de nos corps, comme elle l’est à celle de la marionnette géante de Plume, construite en osier. Votre travail relève du sensible ; par ses sujets, ses histoires, vos marionnettes. Votre compagnie, l’Homme debout, ne relève-t-elle pas d’une certaine éthique ? À quoi sont justement « sensibles » les nombreux spectateurs qui découvrent votre travail ? 

Ce serait merveilleux qu’il en soit ainsi ! J’ajouterai à cette « éthique du sensible », autour de laquelle les spectateurs et nous, artistes, nous nous retrouvons, l’importance de la lenteur. Lenteur du déroulé de notre spectacle, de nos actions. Nous avons joué avec un grand succès Mo et le ruban rouge voici deux ans à Bayonne, et maintenant c’est encore une enfant avec La cabane à Plume(s). En mettant l’enfant au centre de nos spectacles, nous pouvons sensibiliser de manière universelle. J’aime bien imaginer que ces marionnettes sont géantes parce que leurs histoires nous touchent tous. Quant à la cabane, ce qui importe, c’est sa porosité. Elle est fragile, mais sa nature poreuse fait que, si nous voyons autant à l’extérieur que nous sommes vus du dehors, il existe au sein de cette construction une véritable intimité. Nous avons tous ce rapport d’intimité à la cabane, que nous en ayons fait pour nous-mêmes ou pour des enfants. La cabane relève de l’intimité, mais dans une connexion totale avec son environnement. Toutefois, je ne pense pas que « structurellement » notre marionnette dégage quelque chose de fragile. Aux spectateurs de le dire. Toutefois, comme pour une cabane, nous pouvons voir à travers elle… 

Votre marionnette géante est en osier, conçue à la suite de nombreux ateliers. Vous êtes entre l’artisanat pour sa construction et sa conception, et l’art, pour votre spectacle…  

L’artisanat, c’est évident. Quant à l’art, ce mot contient quelque chose de si grand, si vaste… Il y a toujours quelqu’un pour parler au sujet de notre travail de Royal de Luxe. Je leur réponds toujours que nous sommes bien plus artisanaux. Ce type de réponse induit notre état d’esprit, de la confection en osier aux types de matériaux et manières de construire sur d’autres réalisations afférentes au spectacle. Mes camarades sont, comme moi, à se sentir plus artisans qu’artistes. Personne n’aura la noble prétention de se percevoir ainsi. Il faut être humble face à de telles désignations. Si nous faisons du bon artisanat, c’est déjà beaucoup ! 

Vous collaborez avec plusieurs artistes : metteuse en scène, auteure, artistes vidéo et musical, chorégraphe. Ne formez-vous pas une communauté de créateurs qui a pour vocation de se porter à la rencontre d’un public en dehors des salles de spectacle ? 

Après dix ans d’activité de notre compagnie, l’Homme debout, nous en sommes arrivés à la nécessité d’une ouverture à d’autres artistes, d’autres pratiques, pour éviter de rouiller… Pour que ces personnes bousculent notre manière de faire. Toutes ces collaborations nous emmènent ailleurs et enrichissent notre démarche. Pour ma part, je veux bien me dire directeur artistique. Pour coordonner. Ces artistes maîtrisent en écriture, musique ou chorégraphie leur art et le mettent au service de notre projet. S’ouvrir à d’autres artistes, permet de « faire communauté », à condition que le public en fasse partie aussi. Avec tous les ateliers de création en amont du spectacle – nous résidons à Poitiers–, il m’arrive de me demander si je ne préfère pas ce travail de groupes dans un premier temps, au spectacle lui-même ! Nuançons toutefois, vivre une aventure commune est essentiel.  

Pour cette communauté, élargie aux habitants de la ville où sont joués vos spectacles, comment procédez-vous ? 

Sur ce spectacle, La cabane à Plume(s), le « pitch » est simple : la cabane de Plume va être détruite. Elle doit rassembler tous les peuples oiseaux pour empêcher cela. Il s’agit du public ! Faire communauté est indispensable puisque le spectacle repose sur ce lien. Pour cela, il y a d’abord les ateliers : des gens viennent pour réaliser, en notre compagnie, telle ou telle chose, notamment des costumes à porter pour les participants pendant le spectacle. D’autres, toujours en amont, viennent parce qu’ils font de la musique, du théâtre ou de la danse. Ils nous rejoignent dans ce sens pour le spectacle. Une classe de CM2 est directement impliquée : les enfants seront les « oiseaux de la cabane ». De fait, leurs parents sont informés, également impliqués dans ce projet. Ensuite, nous diffusons des tutoriels, pour que n’importe quel spectateur puisse concevoir sa coiffe, son bâton fétiche et apprendre une formule magique sous la forme d’une chanson… que nous interprétons tous ensemble à la fin du spectacle. Il s’agit d’être au diapason ! Il y a donc toute cette préparation et le temps du spectacle lui-même où notre marionnette géante apparaît. Je pense qu’il y a un « truc » dans son visage. Les gens nous parlent souvent de l’émotion qu’ils ressentent en croisant son regard. Or, ses yeux ne sont pas dessinés…  

Nous l’avons vu avec le compte à rebours : votre spectacle se fait en plusieurs temps…  

Nous avions envie de sortir, grâce à la « lenteur » de nos marionnettes, du cadre d’une heure et demie. Il est bien de prendre son temps. J’aime les arts de la rue, parce que les instants qui les composent sont très variés. Nous sommes tous ensemble, mais il y a également des instants d’intimité, de surprise, d’inattendu. Une durée classique ne le permet pas. Sur vingt-quatre heures, nous offrons d’autres sensations, d’autres temporalités. Le matin, par exemple, est comme une petite bulle, un temps en suspension. Il y a des « impromptus » dans la journée ; il y a les « esprits de la cabane », couverts de tissus, de raphia, d’éléments organiques, qui peuvent intervenir à toute heure et se balader n’importe où dans la ville. Cette journée de plus de vingt-quatre heures (la cabane est installée cinq jours avant le spectacle) donne tout simplement l’impression de faire encore plus des arts de la rue. Le grand bonheur est de s’adresser à des gens différents. Beaucoup ne verront pas tout ; leur découverte de l’histoire, de notre présence dans la ville de Bayonne, crée des récits personnels très variés. Chaque moment l’est à part entière. Il s’agit avant tout, sur un territoire, d’une aventure commune aux mille et un visages. Être tous ensemble dans un « projet poétique engagé », est notre principal vœu.