Olivier Martin-Salvan

Considéré comme un « monstre » du théâtre français contemporain, Olivier Martin-Salvan commence très tôt le théâtre pour multiplier les collaborations et les créations avec une exigence toujours renouvelée. Formé à l’école Claude Mathieu de 2001 à 2004, il travaille rapidement avec Benjamin Lazar dans Le Bourgeois gentilhomme de Molière et commence une série de collaborations avec l’auteur et metteur en scène Pierre Guillois au Théâtre du Peuple de Bussang. Interprète de Valère Novarina, Aurélien Bory ou Clédat & Petitpierre, il développe son propre travail de création dans des spectacles d’équipes comme Ô Carmen en 2008, Pantagruel en 2013 ou Ubu en 2015. Les Gros patinent bien, cocréé avec Pierre Guillois, rencontre un immense succès avec l’obtention de deux Molières en 2022 – Molière du metteur en scène d’un spectacle de théâtre public et Molière du comédien dans un spectacle du théâtre public – année où il est présenté à la Scène nationale du Sud-Aquitain. 

Après Les Gros patinent bien, vous présentez votre nouvelle création Péplum médiéval. Quelles sont vos premières images du Moyen Âge ? 

Je suis né dans un milieu populaire avec de petites prédispositions à la culture. J’étais gardé par la télévision, même si j’ai commencé le théâtre à onze ans. C’était ma nounou. J’ai regardé certains films de trente à cinquante fois. J’ai ainsi vu à plusieurs reprises Les Visiteurs. Avec le théâtre, j’ai pris conscience qu’il y avait d’autres espaces possibles, des mondes très éloignés de moi. Je dessinais des croquis pour m’imaginer des histoires, mauvais écolier que j’étais ! Je regardais les sketchs de Coluche, des Inconnus, et je suis tombé sur la chaîne Arte (je disais à mes parents : non pas arth pas arth, j’ignorais que c’était arté qu’il fallait dire). Et là, j’ai découvert Perceval le Gallois d’Éric Rohmer ! Dès qu’une fenêtre ouvrait vers un ailleurs, c’était fantastique. La découverte du Bourgeois gentilhomme à onze ans m’a forcé à apprendre le texte de Molière. Je pensais qu’il s’agissait d’un auteur du Moyen Âge ! J’ai fait un chemin courageux, presque honteux, de lire autant que je pouvais tous ces auteurs. Tout cela en parallèle d’un échec scolaire avec trois redoublements en classe de seconde. Avec mon physique de rugbyman (j’ai joué d’ailleurs à un très haut niveau sans devenir professionnel), les gens me prenaient pour un prof ! J’avais déjà beaucoup de poils. Je suis arrivé tout jeunot, à dix-huit ans, à Paris pour faire du théâtre, chargé de cette culture autodidacte, sans bac.  

Parlons de vos jeunes années théâtrales…  

En fait, ma mère, infirmière, soignait Jean-Pierre Marielle. Il lui a dit de laisser faire, que le bac c’était plutôt si je souhaitais entrer à la Poste… Je l’ai revu à la Comédie-Française, il était très ému. À vingt et un ans, j’ai rejoué Monsieur Jourdain, dix ans après, jour pour jour, cette fois-ci à la bougie, dans la mise en scène de Benjamin Lazare et sous la direction orchestrale de Vincent Dumestre à la tête de l’ensemble Le Poème harmonique. Tournée internationale ! Une armée de baroqueux et d’historiens nous accompagnaient, des personnes plus intéressantes que des professeurs. Benjamin Lazare et moi nous nous suivons depuis, comme deux saumons de texture différente, dans notre découverte du Moyen Âge. Par contre, lui, c’est un enfant précoce… En plongeant dans Molière, je suis donc allé vers le Moyen Âge. Je me suis aperçu du mensonge du film Les Visiteurs, le côté marronnasse, sale. C’est une époque beaucoup plus complexe, colorée, comme le furent les cathédrales autrefois.  

Revenons donc au Moyen Âge… 

Oui, c’est fascinant, il faudrait lire tous les matins les vingt premières lignes du Roman de la rose. Quelle période méconnue ! J’adore les auteurs de la Renaissance, mais ils ont en quelque sorte caché cette longue période de notre Histoire. C’est pareil pour les Gaulois avant, qui ont été mis à distance. En fait, j’ai remonté le Moyen Âge à contresens. Il me ramène à cet oncle que j’allais voir dans un village. Il a vécu le capitalisme dans les années 50 et a décidé ensuite de vivre de trocs et d’échanges par la suite.  

Le titre de votre nouveau spectacle, Péplum médiéval, est un vrai manifeste en soi…  

Donner un titre avant l’existence d’un spectacle peut être un piège. Ce fut le cas pour celui-ci. Aucun autre titre n’a été plus fort depuis. J’aime ce qu’il appelle dans l’esprit du spectateur. L’historien Patrick Boucheron m’a dit : "Il n’y a pas plus intelligent que ce titre." Pour lui, le péplum est une idée du peuple, le peuple médiéval. Personne n’est exclu. Et comme nous sommes une vingtaine de personnes au plateau… Nous avons la chance de jouer sur de grands plateaux, comme celui d’Anglet ! Dans ce titre, il y a du Ivanhoé par exemple. J’ai souhaité que ce soit un piège à spectateurs. Les gens viennent dans l’idée de quelque chose et le spectacle les emmène ailleurs. J’ai souhaité, avec ce péplum, qu’il y ait, comme dans Shakespeare, du théâtre dans le théâtre. Ou comme dans les Pastorales basques, qui en ont été le point de départ, avec l’enfer, le purgatoire et le paradis, à travers des codes très précis ! Je voulais en fait que ce spectacle soit "sur un genre". Et ajouter "médiéval" permet aussi de jouer sur un savoir. D’ailleurs, nous nous sommes faits aider par Michel Pastoureau pour les couleurs. 

Qui dit péplum dit décors et costumes. Nous sommes également à la croisée de plusieurs choses, avec la danse, la musique et les arts plastiques. Avez-vous innové dans votre propre parcours d’artiste pour la création de ce spectacle ? 

Nous sommes comme dans la tapisserie de Bayeux : le point est très serré. J’ai discuté avec beaucoup de chercheurs du CNRS, dont une spécialiste des formes théâtrales des XIVe et XVe siècles. Le parlé et le chanté étaient vraiment conçus ensemble. Les arts étaient enchâssés les uns dans les autres, avec un jeu et une prononciation précis, comme ce théâtre médiéval préservé au Japon : le . Ces contraintes apportent beaucoup de liberté. Il faut naviguer entre le génie et le sublime. Nous avons dû inventer un monde. C’est maintenant une pièce médiéviste. Il faut en tout cas prendre soin de ce non-réalisme. Ensuite, ce spectacle est né d’échanges avec l’auteur Valérian Guillaume pour créer cette histoire où le retour de la Nuit est attendu, dans un Temps gelé. Ce rapport au merveilleux est nécessaire.  

Péplum médiéval témoigne d’une distribution généreuse dont sept comédiens en situation d’handicap mental de la Compagnie Catalyse, créée et dirigée par Madeleine Louarn…  

C’est une compagnie mythique, avec de nouveaux recrutements. Certains sont autistes, d’autres ont des problèmes moins évidents à identifier. Madeleine Louarn, installée à Morlaix, a développé avec eux un travail remarquable. Le terme mental ne doit pas être retiré. Qu’il soit léger ou non. Quand j’ai rencontré cette compagnie, le rapport au non-réalisme, à l’enfance, à l’immédiateté, au « sans-filtre » s’est avéré évident. Demander à des comédiens de travailler sur le diable, ils cherchent dans leurs corps, leurs gestes. Eux, ils s’assoient et ont les yeux en feu ! Leur investissement est incroyable. L’un d’eux m’a dit être sans famille et avoir toute sa vie sur un plateau. Leur énergie vitale est totalement dirigée vers la scène. Tu peux ne pas jouer avec un loup, si tu ne te poses pas la question de l’animalité. Ils ont un rapport à des choses nobles, la pureté notamment. Ils sont imbattables. Leur demander de voir une lune rousse est immédiatement possible. Travailler en amont avec eux pour ce spectacle est une vraie leçon de théâtre !  

Péplum médiéval inclue une autre rencontre, avec Valérian Guillaume, l’auteur de la pièce, l’inventeur d’un langage pour retrouver un imaginaire « informé » du Moyen Âge. 

C’est un poète. La collaboration est intense. Péplum médiéval est une utopie folle. Nous avons cherché un langage qui soit dans l’esprit du merveilleux, avec des multiples références. Déplacer le curseur touche aussi les techniciens ! Pareil pour la chorégraphie… Le Moyen Âge, sans que nous le sachions parfois, est le berceau de tous nos contes. Chrétien de Troyes est extraordinaire dans ses rapports à la digression. Il est capable de différer la narration d’une histoire ; l’auteur envoie le lecteur dans ses pénates, comme chez Rabelais ensuite. Valérian Guillaume a dépassé les obstacles pour inventer sa propre écriture. Il s’est plongé dans la langue du Moyen Âge et dans de nombreux patois. C’est une parole générale ; chacun prend le relais de l’histoire. Malgré quelques différences d’expression avec le héraut, l’étranger de notre histoire qui arrive dans un village, tout le monde se comprend ! Tout cela s’expérimente, en sachant qu’il faut laisser aussi le plateau trouver sa propre langue. Cette langue entre aussi en rapport avec un château amovible, conçu par Clédart qui, avec Petitpierre, a également réalisé les costumes. Un vrai bateau au service de cette écriture littéraire et scénique. Sans oublier le son et la musique…