Vincent Menjou-Cortès

D’abord le Conservatoire National d’Art Dramatique de Paris en 2009. Puis rapidement, Vincent Menjou-Cortès travaille sous la direction de différents metteurs en scène. Son goût de la rencontre l’emmène à rejoindre en 2012 le collectif européen autonome ISO composé de douze acteurs/metteurs en scène originaires d’Allemagne, Pologne, Bulgarie, Roumanie, Grèce, Portugal, France et Palestine. En 2012 il crée également sa compagnie basée à Bayonne Salut Martine (dont l’origine vient de Salut à Mars !) Il joue au cinéma et dans la série Le Bureau des légendes. Il réalise aussi d’étranges court-métrages.   

L’Injustice des rêves met en scène des personnages qui attendent désespérément une apocalypse qui ne vient pas. À ce récit s’ajoute une source littéraire : l’auteur latin Sénèque. D’un côté vous proposez une fiction humoristique, de l’autre vous explorez l’écriture d’un auteur de l’Antiquité. Étonnant, non ?

Je suis allé fouiller chez les auteurs Grecs au moment des élections présidentielles de 2017. J’ai rencontré alors Maxime Pierre, latiniste proche de Florence Dupont, qui m’a recommandé de lire Sénèque. J’ai fait un laboratoire dans la foulée avec des comédiens sur cet auteur dont je venais de tout découvrir, pièces et traités. Une matière littéraire sublime et très vivante, excitante à travailler. Avec les acteurs, partager une telle somme n’a pas été aisé dans un premier temps. Ça ne décollait pas car nous avions l’obsession de découvrir une leçon morale derrière ses tragédies. C’était pourtant peine perdue. Il fallait accepter que les tragédies de Sénèque aient été écrites pour provoquer des émotions, rires compris, et non une morale univoque. 

 C’est devenu alors brillant et profond. Je privilégie une approche instinctive pour mes spectacles ou mes films. J’avais par ailleurs demandé à ma scénographe de trouver des reproductions d’un lieu jamais vu sur un plateau de théâtre. Elle m’a fait découvrir une série de photos de Lynn Cohen sur des centres de tirs un peu partout dans le monde. Sur la majorité des photos, il n’y a pas de cibles et l’esthétique de ces lieux est très intrigante. J’ai trouvé que c’était un type de lieu approprié aux motifs que nous retrouvons dans le théâtre de Sénèque. Peu à peu, l’espace du centre de tir s’est dépouillé jusqu’à ce que nous n’en gardions que l’enveloppe. Une boîte blanche, aseptisée, où se développe notre fiction. Je suis ensuite reparti de cette boîte épurée pour revenir à Sénèque. J’ai imaginé les habitants de cette boîte. Je voulais des personnages naïfs, d’apparence plutôt normaux, plutôt gentils, mais qui contiendraient en eux une folie. J’ai pensé aux Témoins de Jéhovah.

Comment percevez-vous ce désir de vous confronter à une telle vision dystopique ?

Dans mes premières intuitions, j’étais soucieux de travailler sur la collapsologie. Très vite, je me suis fait déborder, mais alors complètement ! Toutes les semaines, face à l’actualité, je réactualisais mon projet. La réalité dépassait la fiction que nous imaginions avec les membres de la compagnie. Tout devenait obsolète avec une rapidité incroyable. Comment faire quand le théâtre vieillit si rapidement ? Je me suis dit qu’il fallait que je prenne de l’avance. J’ai donc décidé d’agir comme un artiste collapsologue et d’imaginer le théâtre dans le futur. J’ai supposé que la narration classique était définitivement abolie, que pour raconter des histoires et s’attacher à des personnages les spectateurs apprécieraient désormais des dramaturgies brèves permettant néanmoins de vivre l’expérience du théâtre… comme chez Sénèque ! Il reprend les mythes grecs et les électrise en quelque sorte. Nous avons éprouvé les mêmes besoins dramaturgiques et la performance a pris inévitablement de l’importance. 

Cette exacerbation, favorisée par le rythme, le choix d’une écriture dont la violence étonne encore aujourd’hui, de quoi est-elle la garantie ?

D’une découverte. D’un niveau supérieur dans lequel les situations et rapports entre les personnages deviennent extrêmes. De cette manière, par ce type d’écriture scénique qui se veut libre mais néanmoins liée à l’univers de Sénèque, nous tentons de présenter un nouveau miroir de l’être humain. Lorsque nous avons joué Bérénice, suite et fin il y avait une dimension métaphysique lors des représentations. C’était fou de voir des gens pleurer pendant des pièces qui ont été écrites au 17e siècle et traitant d’une histoire datant de la Rome Antique, elle-même jouée par des acteurs d’aujourd’hui. C’est de l’ordre de la magie.

Avec votre pièce, nous sommes dans une dystopie. Comment tentez-vous d’explorer cette vision à la fois pessimiste, ironique, drôle et tragique du futur ?

J’alterne sans cesse entre la forme et le fond. Je pars de la forme, puis je vais fouiller ce qu’il y a dans le fond. Concernant cette dystopie, elle est née de mes instincts, et de mon désir de réinventer la réalité. Imaginer ce théâtre du futur, en partager une représentation, pour peut-être nous rapprocher du rituel, jusqu’à pourquoi pas imaginer un sacrifice. Aux spectateurs d’aujourd’hui de découvrir comment nous avons mis cela en perspective, dans une mise en abîme qui est aussi une manière d’interroger le théâtre contemporain.

Par son histoire délirante et la beauté sauvage de son écriture, L’Injustice des rêves contient-elle une forme de morale, la possibilité d’accepter ce monde inquiétant ?

Mon but ultime est de questionner : je n’ai pas de réponse, et surtout aucun rapport à la morale. Et même lorsqu’un un metteur en scène, une compagnie, essaient de travailler dans une direction précise, tout le monde est très vite renversé par la puissance de l’art vivant. L’histoire se raconte différemment tous les soirs. Il ne faut pas chercher à la contrôler dans un sens. La moindre inflexion doit pouvoir tout bouleverser, en fonction de la salle, du rythme.