Ximun Fuchs

Manex et Ximun Fuchs ont créé en 2018 Axut! (qui peut être traduit en français par Chiche !) avec le désir de proposer une activité théâtrale forte dans le Pays Basque. En choisissant de s’exprimer sur des sujets d’actualité, les deux frères ont développé en quelques années un théâtre documenté, accompagné d’une solide éducation artistique et culturelle. La langue basque est au cœur de toutes leurs productions. Elle signe l’évidence de leur identité et la vérité de leur recherche.

Votre compagnie est basque, par son implantation, ses sujets, sa langue d’expression. Peut-on parler d’identité ?

L’identité n’est pas un problème. Le mot de communauté l’exprime parfaitement : nous faisons partie d’un ensemble de personne avec une culture et une façon d’être au monde. Quand les notions d’identité ou de communauté ne peuvent plus être énoncées, nous devenons des consommateurs. Mon frère Manex et moi travaillons depuis cette  communauté. D’abord avec des spectacles dans notre langue, avec le désir d’en faire « un plus » pour créer. De fait, nous produisons des formes théâtrales qui n’existeraient pas en français, des histoires concernant notre peuple, notre pays. Elles sont diverses, parfois méconnues de nous-mêmes. Le Pays Basque n’existe pas… dans le sens où il n’a pas d’histoire officielle. L’art et l’oralité peuvent le raconter. Nous œuvrons à construire un récit, à exorciser les peurs qui existent en nous. S’il existe une part d’universel dans tous les mots, les travers ou les beautés humaines, certains nous sont propres. Ils font notre richesse. À partir de là, il est possible de les partager artistiquement en parlant de ce qui nous touche. Si nous avions une prétention, elle serait finalement de raconter l’air du temps. Qu’est-ce qui préoccupe vraiment notre peuple ? Quels sont les problèmes profonds qui le touchent ? À qui parlons-nous ?

Votre nouvelle création s’intitule Zaldi Urdina. Ce terme signifie cheval bleu, autrement dit l’héroïne, la blanche. Vous y parlez de la circulation de la drogue au Pays Basque, des années 80 à aujourd’hui...

C’est un véritable sujet tabou. La blanche a fait à partir des années 80 de quatre à cinq mille morts. Difficile d’avoir un chiffre précis… puisqu’il y a aussi les causes de décès non révélées et les morts du sida.  Madrid, la Catalogne et le Pays Basque ont été durement touchés. Cela a aidé à financer la « guerre sale », menée par des groupes paramilitaires à travers des attentats et des centres de torture. Tout le monde a vu au Pays Basque des flics sortir la drogue et la distribuer. Les enquêtes sur ce sujet ont toutes échoué. Les différents gouvernements espagnols de l’époque ont permis des attentats afin d’obliger la France à extrader certaines personnes. Sans oublier la mafia, les entreprises, les discothèques… Cette histoire demeure encore assez vive. La dénoncer autrefois, c’était être perçu comme sympathisant de l’ETA, qui avait commencé à prendre pour cible l’industrie de la drogue. Plein d’adolescents et d’enfants se sont retrouvés anéantis par la blanche. Nous avons un lien sur notre site internet pour renvoyer sur un groupe de recherche, avec toute la littérature et les documentaires liés à cette problématique.

Votre pièce raconte à travers une famille cette histoire de nos jours, et remonte le temps avec une enquête menée par des « amateurs »…

Zaldi Urdina utilise la fiction pour parler de cette période, dans un pays où la drogue continue de circuler. Nous faisons du théâtre documenté. Notre sujet, c’est la famille. À partir de là, les questions sont nombreuses, au regard d’une telle histoire, de l’Histoire : comment rêver après ? Comment s’aimer, continuer à garder un lien filial ? Le point principal de notre travail théâtral demeure la famille, « la petite nation ». La famille, c’est incarné, c’est charnel – quelles que soient les formes de famille ! Le théâtre a cette formidable capacité d’offrir une compréhension intime de l’Histoire. Il permet de partager des problématiques, d’être un élément de rassemblement des générations, des communautés parmi les communautés, jeunes, vieux, hommes, femmes, etc. Il propose de leur parler en essayant de traverser ce qui les anime, à travers une langue, notre langue, qui est un espace d’intimité, dans lequel nous rêvons, aimons ou nous mettons en colère… En racontant l’air du temps, au cœur de notre territoire, nous voulons faire un théâtre vivant, créer un espace libre, dans l’amour des acteurs, et le désir de créer par nécessité et non par opposition.