Gaëlle Bien-Aimé

© GBA

Gaëlle Bien-Aimé est née en 1987 à Port-au-Prince. Journaliste, comédienne, humoriste, professeure de corps et de voix à Acte, école de formation d’acteurs (trices) et d’animateurs (trices), Gaëlle Bien-Aimée est également activiste politique et membre de l’organisation féministe « Nègès Mawon ». Elle fonde la troupe « Corps et âme » qui, en octobre 2014, a fêté ses dix années d’existence. Après ses études classiques en 2006, elle intègre « Le Petit Conservatoire, école de théâtre et des arts de la parole en Haïti » où elle passe trois ans à étudier les arts de la scène. En 2010, elle a commencé à suivre des stages en Ethnodrame « Théâtre et Rituel » à l’ESACT, école supérieure d’acteur de cinéma et de théâtre à Liège en Belgique. En novembre 2015, elle prend une formation intensive en humour à l’école nationale de l’humour à Montréal au Canada. Comme comédienne elle a joué, entre autres sous la direction de Jean René Lemoine (Le Jeu de l’amour et du Hasard, de Marivaux), Guy Régis Jr (Migrant), Un arc-en-ciel pour l’occident chrétien de René Depestre mis en scène par Pietro Varasso, Daniel Marcellin...

Que signifie pour vous être artiste dans un pays en proie à la violence ? Y a-t-il encore une place pour l’art en temps de guerre ou de crise profonde ? Est-il possible de continuer de créer, de jouer dans un tel contexte ? 

En Haïti, les artistes ont toujours été présents pour accompagner les grands moments de notre histoire à travers leur art. Créer pour faire résistance. Cependant, le contexte actuel est inédit. Quand la terreur règne, quand les gangs armés envahissent des quartiers entiers, quand la vie ne tient qu’à un fil, on n’est pas capable de créer. Quand nos poèmes qui revendiquent la vie ne résonnent nulle part, quand les détonations d'armes automatiques couvrent nos plus belles mélodies, il n'y a plus de place pour d'autres performances que l'errance. Au moment où je réponds à cet entretien, la situation à Port-au-Prince, la capitale du pays, est sous contrôle des gangs à 90%. Une évolution de la situation en une semaine qui plonge la population dans le désarroi total. Non, on ne peut pas créer à ce stade. Pas dans ce carnage. Pas dans les fumées des incendies. Pas dans ce chaos-là. Pas celui-là. Mais nos mots emmurés dans la peur arriveront sous peu. Le besoin de créer ne nous quitte jamais.

Étant entendu qu’un artiste en exil ne quitte jamais vraiment son pays, vos pièces évoquent votre « exil » et vos traumas. Que devient-on quand on part ? Quel sens trouve alors la création en dehors de son pays ?

Je ne suis pas encore partie. Je traîne dans mon sac une ville amochée. Avant-hier, une vidéo de chez nous a été virale sur les réseaux. Un homme qui fuit l’assaut des gangs, pousse une brouette avec le cadavre d’un proche enveloppé dans un drap blanc. Ce pays est lourd comme un corps sans vie qui n’avait pas prévu de traverser de sitôt. Ceux qui sont partis le disent. Ceux qui errent, comme moi, le confirment. Je ne sais pas encore ce que l’on devient quand on part. Mais je sais que ce pays ne quittera pas mes œuvres et  je souhaite le décrire autrement, comme il est vraiment, dans sa beauté sauvage et le sourire des dames que je croise sur la route de Kenscoff.

Pourrez-vous envisager de continuer de créer sans nécessairement traiter de l’exil et de votre pays ?

Oui, Aimer en stéréo est mon dernier texte sur l'exil. Si la situation du pays a influencé mes œuvres, je casse désormais ce cycle avec des créations humoristiques. Je reste quand même sur les thèmes tels que l'Histoire et la géopolitique.

Quel est le réel pouvoir de l’art et de l’artiste face à une situation de guerre ou de crise profonde ?

Rêver. Rêver…