ensemble 0

Mené par Sylvain Chauveau et Stéphane Garin, l’ensemble 0, groupe à géométrie variable, unit dans le même élan depuis 2004 des musiques contemporaines : si la musique minimaliste des Américains constitue son visage le plus connu, l’ensemble 0 interprète également ses propres compositions à travers deux trios et performe au sein de la scène électronique ou de la pop indé. Leurs collaborations sont désormais multiples et s’étendent sur un vaste panel qui leur permet de servir avec ingéniosité leur amour du son et de la scène. Plusieurs disques sont parus dont Elpmas, une nouvelle version de l’œuvre mythique du compositeur des rues new-yorkaises Moondog. « Ensemble zéro carbone », le groupe s’inscrit dans une démarche écologique avec Jojoni, et Stéphane Garin collabore avec Claire Diterzi pour le Concert à table.

(Réalisé par Marc Blanchet en juin 2021)

L’ensemble 0 « vient » à la Scène nationale du Sud-Aquitain avec un nouveau spectacle, Jojoni. Nous indiquons entre guillemets votre venue, car vous avez choisi comme artistes de privilégier un nouveau type de déplacement respectueux de l’environnement, de l’empreinte carbone, qui vient d’un long processus de réflexion, et d’essais, pour pratiquer autrement vos tournées…

Sylvain Chauveau, codirecteur de l’ensemble 0, et moi-même, éprouvons depuis trois ans, avec plus d’acuité, la problématique environnementale. Le monde artistique ne saurait se désolidariser des problèmes actuels, puisque nous y participons. J’entends par là que si nous regardons comment nous vivons, nous faisons partie de ces Occidentaux qui font tout de travers. Cela interroge notre rapport à l’environnement, notamment la pollution numérique qui représente une vraie catastrophe. Il s’agit donc d’agir comme artiste sur les modes de déplacement, de nutrition, en choisissant le végétarisme pour les repas lors des productions. Une telle démarche peut avoir ses conséquences. Le seul intérêt d’être artiste à mes yeux, me concernant je dirais même artisan, c’est d’inspirer d’autres personnes. Nous avons la chance de bénéficier d’une « estrade », ce qui n’est pas le cas de tous. Repenser nos déplacements lors des représentations relève d’une vraie gageure. Nous nous sommes beaucoup pris la tête ! Quand il s’agit de faire quelque chose de cet ordre, de poser des jalons sans verser dans le romantisme, il y a de quoi se planter. Nous avions tenté au début de penser à une autre forme de mobilité, en nous déplaçant en vélo de « date en date », ce qui suppose de mettre en relation les lieux de programmation entre eux, petites comme grandes structures, et ce dans un certain espace, afin d’éviter l’esprit du « one-shot », cette unique représentation au coût énergétique important. Nous avions le désir de faire cinquante kilomètres entre chaque date, et d’être à chaque fois sur place en contact avec une association. Bref, acheter des vélos livrés à un point A puis les laisser à un point B… ce qui s’avère assez « polluant ». Nous avons opté pour autre chose, grâce à un matériel réalisé par une entreprise suisse : des sacs de voyage de cent litres chacun, dans lesquels peuvent se glisser effets personnels et matériel, les guitaristes portant leur instrument sur le dos ! Ces sacs s’amarrent au vélo, c’est parfait ! Il s’agit par cette démarche de se lier à une autre forme de temporalité, de développer des travaux satellites, avec un journal de bord radiophonique par exemple, et d’inviter le public de Jojoni à venir à pieds ou en vélo, en ouvrant des discussions hors du temps de concert sur cette thématique. Pour l’instant, nous sommes sur une formule en lien avec des lieux importants, comme la Scène nationale du Sud-Aquitain. Il n’est pas évident d’organiser une tournée entre de telles structures, pour une paradoxale raison économique : le milieu des salles de musique a beaucoup d’argent pour pouvoir inviter des musiciens, notamment à travers le processus du « one-shot », ce que nous souhaitons ne plus pratiquer.

Cette interrogation sur l’environnement, et par là-même les moyens de transport, témoigne d’une nouvelle manière de partager un travail artistique, votre musique même se modifie : sa nature acoustique d’abord, les instruments joués… Comment qualifierez-vous la musique de Jojoni, créée et interprétée par l’ensemble 0 ?

Jojoni fait suite au spectacle Soñando. Aucune pensée écologique au départ, nous l’avions conçu pour aller au Japon ! Jojoni 徐々にsignifie en japonais « peu à peu ». L’idée était déjà que notre matériel tienne dans une valise, pour transporter les percussions, avec en plus deux guitares et la demande sur place d’un set technique comprenant une table et trois chaises… Avec ses trois musiciens, Jojoni peut se jouer dans un appartement, et demande de l’attention, une véritable écoute, en sachant que cette musique se révèle assez mélodique autant que rythmiquement complexe ! Mes percussions comprennent des petits instruments recyclés, beaucoup de métaux, bois et pierres. Il s’agit d’une musique populaire dans le sens de son accessibilité, nous pouvons les qualifier de
« chansons instrumentales ». Toutefois, la démarche de l’ensemble 0 n’a rien à voir avec du populaire ici, du savant là. Nous n’avons jamais formalisé quoi que ce soit. Nos backgrounds et influences sont très divers. Comme le formulait le compositeur américain Steve Reich, il s’agit pour parler de ce que nous jouons, comme d’autres artistes, de musique « post-everything ». La dernière évolution musicale que j’ai connue, c’est la techno… Mais pour moi, Gustav Mahler ou Ennio Morricone même combat. L’ensemble 0 ne pense pas au public mais joue une musique qui nous définit. Nous récusons les dogmes d’une certaine histoire de la musique. Je peux pour ma part aimer Morton Feldman comme Pascal Comelade, subir également les influences de Mark Rothko ou Jackson Pollock !

La musique de l’ensemble 0 est une des facettes de votre activité artistique. Vous menez aussi cette année des ateliers avec le LEP de Tarnos…

Je pratique le « field recording », l’enregistrement de terrain, une forme de photographie sonore. Lors d’un atelier, il s’agit de favoriser auprès des étudiants ou lycéens une disposition à l’écoute. Alors qu’ils avalent chaque jour par leur écran, et avec une rapidité de diffusion hors-normes, des images de manière démoniaque, nous nous partageons des fichiers sonores. C’est connu : le cerveau traite en premier lieu l’image, en second lieu le son ; les yeux prennent le pas sur l’oreille. Le paysage sonore apprend à fermer les yeux et entendre son environnement. Le field recording est une forme de mémoire ; il permet d’entendre également la modification des sons dans un lieu au cours des ans. J’adore inscrire un son dans une temporalité exacte ; je l’enregistre en indiquant la date et même l’heure. Le village de ma naissance ne sonne pas pareil aujourd’hui qu’auparavant. Un chant d’oiseaux enregistré sur plusieurs années permet de mesurer la disparition d’espèces… 70 % des  chants d’oiseaux sur ces cinquante dernières années ont été perdus. De même, j’adore enregistrer la voix des gens, jusqu’à des recettes de cuisine ! À Tarnos, nous allons travailler dans cet esprit. Cette ville porte en elle l’histoire forte de familles de réfugiés espagnols fuyant le franquisme, un véritable sujet d’enregistrement…