Marcos Morau

Marcos Morau est né à Valence, en Espagne, en 1982. Après des études à l’Institut del Teatre de Barcelone, au Conservatorio Superior de Danza de Valence et au Movement Research de New York, il fonde La Veronal en 2005. Ce collectif regroupe des artistes issus de la danse, du cinéma, de la photographie et de la littérature. À sa tête, Marcos Morau construit des mondes et des paysages imaginaires où le mouvement et l'image se rencontrent et s’imbriquent. En parallèle de La Veronal, il collabore en tant qu’artiste invité avec d’autres compagnies internationales telles que le Scapino Ballet Rotterdam, le Ballet de Lorraine, Göteborgs Operans Danskompani, le Ballet du Rhin, Royal Danish Ballet, Carte Blanche Norway, Compañía Nacional de Danza ou le Tanz Luzerner Theater. Son travail est présenté dans le monde entier, sur les scènes les plus renommées.

Entretien avec Marcos Morau par Stéphanie Pichon – septembre 2023

Prodige de la danse espagnole, Marcos Morau crée des spectacles éclectiques, oniriques, qui empruntent à tous les arts pour refléter sa vision du monde. À la tête du collectif pluridisciplinaire La Veronal, basé à Barcelone, le chorégraphe de 43 ans multiplie les collaborations de Berlin à l’Opéra de Lyon. Il arrive à la Scène nationale avec deux pièces : sa dernière création, Firmamento, pièce futuriste sur le monde adolescent, et Los Perros, cocréation poignante avec le couple de danseurs de Led Silhouette.

Vos œuvres chorégraphiques, depuis la création de La Veronal en 2005, s’ancrent dans un univers artistique multilingue. La danse, mais aussi les arts plastiques, le cinéma, le texte, la musique, forment un tout. D’où vient ce besoin d’entremêler les arts ?

Je crois que nous vivons dans une époque où les arts et la société sont plus perméables que jamais. Le monde et ses différentes manifestations – des arts plastiques à la performance ou l’audiovisuel – sont de plus en plus interconnectés. L'objectif est d'aller le plus en profondeur possible et, si cela nécessite de mélanger les langages, les artistes d'aujourd'hui seront toujours prêts à s’immerger, à briser les frontières. J'utilise la scène comme un champ de bataille où tous les arts sont réunis dans un exercice holistique total. Avec la nécessité de traduire notre présent et notre monde en une œuvre d'art qui parle de notre époque, turbulente et changeante.

Cette multidisciplinarité se retrouve encore dans Firmamento, votre toute nouvelle création pour cinq danseurs. L’adolescence y est à la fois le sujet mais aussi l’adresse, puisque vous y interpellez la nouvelle génération.

Nous avons essayé de concevoir un spectacle non pas seulement réservé aux adolescents, mais « pour » notre adolescence. Pour celles et ceux d’entre nous qui viennent d’avoir 40 ans, l’adolescence reste ce lieu déroutant, plein de souvenirs et de peurs. C'est aussi un temps où nous avons appris à penser et à regarder. Nous avons tenté de mettre en valeur cette capacité d'observer le monde sans toujours comprendre, et cela nous a entraîné vers un lieu inconnu, passionnant. A l’adolescence, la créativité des enfants commence à s’estomper, ou au contraire à se développer. C’est comme un terreau pour les créateurs du futur. Et c'est là-dessus que nous avons mis l'accent dans Firmamento : agiter le monde des rêves, de l'inconscient, de l'insatisfaction à se conformer à la réalité, en faire la seule issue. Créer nous sauve.

Vous avez toujours révélé la puissance de l’imagination dans vos pièces précédentes, mais peut-être ici de manière encore plus forte. Comment se matérialise cette envie de faire confiance à l’intuition, aux images, à la poésie ?

Éveiller la créativité du spectateur et des autres m'a toujours hanté. Une fois de plus, j’ai fait ce que j'aime le plus : me laisser aller à mon intuition et lui donner forme. La poésie nous révèle le pouvoir de ressentir et d’expérimenter des émotions sans avoir besoin de comprendre une intrigue ou une histoire. La danse, comme la poésie – et contrairement à un théâtre plus aristotélicien – nous offre le pouvoir de suggestion. Les images, la musique et la poésie nous atteignent à des endroits qu’une pensée logique et rationnelle ne pourrait atteindre : c'est un espace de liberté totale qui se connecte profondément avec ce que nous sommes, à ce que nous ressentons même si nous ne le comprenons pas.

Une marionnette fait aussi son apparition au milieu des corps des danseurs, Que représente t-elle ?

Je crois que les marionnettes sont des personnages volés à l’enfance et qu’elles ont toujours été présentes dans le monde du cirque et du théâtre. L’usage que nous en faisons est toujours un déploiement vital, une capacité à générer de la vie dans ce qui n’en a pas, le jeu des conventions théâtrales. Nous utilisons une marionnette avec un visage d'adulte et un corps d'enfant pour nous offrir des moments de mélancolie, c’est un être qui vient du monde des adultes mais qui a l'enthousiasme et l'innocence d'un enfant.

Vous venez aussi à la Scène nationale du Sud-Aquitain avec une autre pièce, Los Perros, écrite pour le collectif chorégraphique navarrais Led silhouette, qui réunit deux interprètes de la Veronal Jon Lopez & Martxel Rodriguez. Comment s’est passé ce travail de cocréation avec des danseurs que vous connaissez bien ?

C'était très beau de partager mon univers avec de jeunes danseurs qui ont des envies et des intuitions créatives. Jon et Martxel forment un couple incroyablement sensible, doté de grandes capacités créatives. J'avais envie de les aider, qu’ensemble nous construisions quelque chose qui s’appuie sur mon expérience et sur leur envie. Los Perros c’est un cadeau que je leur ai fait, un monde commun. Je sais ce que c'est de partager son monde professionnel et sa vie privée. C’est aussi ce qu’ils vivent. Avoir traversé cela dans ma propre vie m’a permis de créer quelque chose pour eux, à partir de mon expérience.

La technologie laisse place à une rencontre plus brute entre deux êtres, deux personnages en miroir, un couple. Quelles énergies avez-vous convoqué pour cette chorégraphie ?

Même si la technologie a une grande valeur dans notre monde, ce qui compte vraiment, c'est tout ce qui nous définit en tant qu'êtres humains qui ressentons, souffrons et rêvons. En tant que créateur, je m'appuie sur la technologie pour pouvoir laisser libre cours à mon monde, c'est un outil qui s’accorde parfaitement avec la matière humaine, soit par contraste, soit par nécessité. Los Perros essaie avant tout de se concentrer sur le pouvoir du couple, le couple créatif, avec ses ambitions, ses peurs et ses insécurités. Deux chiens hurlant au milieu du monde, incapables de trouver toutes les réponses. La technologie nous aide mais elle ne nous sauve pas.

Le texte, à la fois poétique et manifeste, est signé Carmina S. Belda, qui est aussi l’autrice des mots de Firmamento. Les deux pièces abordent cette question du futur incertain. Est-ce que l’avenir est une question cruciale pour vous ? L’art est-il une manière de répondre aux inquiétudes du futur et de se redonner de la force ?

L'art nous sauve de ce que nous appelons la réalité, c'est un fait. Se contenter de la vie serait dangereux et insuffisant. Ceux d'entre nous qui créent, écrivent, composent... savent qu'il existe de nombreuses façons de trouver un sens à la vie. Les textes de mes pièces ne révèlent pas le mystère de l'énigme de chacune des créations mais ouvrent plutôt une nouvelle manière d'approcher le travail. Carmina et moi travaillons ensemble depuis très longtemps et partageons de nombreuses sensibilités. Ensemble, nous évoquons des idées et tentons de leur donner des formes abstraites, de trouver les mots justes qui génèrent de l’imagination plutôt qu’ils ne révèlent du sens. Dans mes œuvres, le texte constitue effectivement un des éléments cruciaux, au même titre que la danse, l'image et l’espace.